Pesticides agricoles : l'abandon du "NoDU", une régression ou un progrès ? On vous explique le débat qui met les chercheurs en colère (2024)

l'essentiel L'indicateur de mesure de l'utilisation des pesticides en France change. Fini le NoDU, place au HRI-1, l'indicateur utilisé au sein del'Union européenne. Une modification qui provoque des contestations et des questions.

Gabriel Attal a annoncé ce mercredi 21 février le remplacement du "NoDU franco-français" par l'indicateur européen HRI-1 pour mesurer l'utilisation des pesticides dans le cadre du plan Ecophyto 2030. De quoi parle-t-on réellement? Pourquoi ce changement? Éléments de réponse avec Freddie-Jeanne Richard, enseignante-chercheuse en écologie, membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto, Laure Mamy, directrice de recherche à l'Inrae et Corentin Barbu, chargé de recherche sur le contrôle des ravageurs et maladies des grandes cultures à l'Inrae.

Qu'est-ce que le NoDU?

Le NoDU (pour "Nombre de doses unité") est calculé à partir de la quantité de pesticides vendue (calculée sur un service de statistiques interne au ministère de l'Agriculture) divisée par la dose maximale autorisée par l'Anses. PourCorentin Barbu, le NoDU est l'indicateur "le plus pertinent" :"Il permet de prendre en compte à la fois la quantité de substances actives et la dose à laquelle elles sont efficaces, ce qui correspond à un degré de toxicité pour les organismes visés".

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Depuis quand existe-t-il?

Le NoDU a été mis en place en 2008 en France et est rapidement devenu l'indicateur de référence en matière de recours aux pesticides. Ce sont les chercheurs de l'Inrae qui ont développé cet indicateur, jugé alors plus performant que la QSA (quantité de substance active), utilisée jusqu'ici. En ne prenant en compte que les quantités utilisées, et non la potentielle toxicité des produits, la QSA a été jugé incomplète, le recours massif à un produit peu actif étant surévalué par rapport à un traitement plus ciblé d'une substance plus nocive.

Qu'a-t-il permis de mesurer?

Le NoDU n'a qu'un intérêt limité. Pour rendre compte de l'évolution des pratiques, il est impératif de regarder le NoDU pour les substances les plus dangereuses appelées CMR pour "cancérogène, mutagène et reprotoxique", comme le détaille unarticle de The Conversation. On y lit que le NoDU des CMR1, donc les substances au "potentiel [de dangerosité] avéré ou présumé", est en baisse en France

"On voit clairement que les agriculteurs ont fait un gros effort en réduisant le recours aux pesticides les plus dangereux, comment se fait-il qu'on ne parle pas plus de cela?", déplore Corentin Barbu. "On aurait mis la cible du plan eco-phyto sur les CMR, on y serait quasiment", expose ce dernier.

Mais ce dernier reconnaît que le calcul du NoDU devrait être simplifié.

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Pourquoi la FNSEA réclamait-ellesa suppression depuis plusieurs années?

Depuis des années, certains syndicats agricoles etfabricants de pesticides reprochent au NoDU de ne pas tenir compte des efforts réalisés pour remplacer des substances nocives par d'autres, moins dangereuses, utilisées en quantité égale ou supérieure.

Dimanche le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, invité de l’émission Questions politiques sur France Inter, a repris cette critique: selon lui, si vous remplacez "un produit avec un risque qui est très fort mais qui est autorisé" par "deux ou trois passages d’un produit" moins dangereux, le NoDu "se dégradequand mêmeà cause de l’augmentation de volume".

Or, si on ne s'intéresse qu'auNoDU-CMR1 (les doses de produits dangereux), cela permet de constater les efforts de l'agriculteur. Problème, cet indicateur n'est jamais présenté sous cette forme, au grand dam des chercheurs de l'Inrae.

Qu'a annoncé Gabriel Attal sur les pesticides?

La crise agricole et les différentes rencontres entre la FNSEA, les Jeunes agriculteurset le gouvernement ont fini par avoir raison du NoDU. "Je vous annonce que l'indicateur de référence pour suivre notre objectif de réduction des produits phytosanitaires ne sera plus le NoDU franco-français mais bien l'indicateur européen", a annoncé le Premier ministre, Gabriel Attal, ce mercredi.

"On ne va pas inventer nos indicateurs français à l’écart du reste de l’Europe", a justifié, de son côté, Marc Fesneau, le ministre de l'Agriculture. Une décision saluée par les syndicats agricoles majoritaires, mais vivement critiquée par les chercheurs qui y voient une "régression de 15 ans", le retour à un indicateur qui "additionne des choux et des carottes", selon les termes de Corentin Barbu.

Par quoi le NoDU va-t-il être remplacé?

Pour lutter contre la concurrence déloyale de produits importés, soumis à des normes moins strictes en matière de pesticides,le gouvernement a choisi de s'aligner sur la norme européenne, à savoir l'indicateur HRI-1. "Un indicateur de risque harmonisé" proposé par la Commission européenne.

Pesticides : "Pourquoi la France serait-elle la seule à avoir un indicateur qui serait différent du reste de l'Europe ?", interroge Agnès Pannier-Runacher après l'abandon par la France de l'indicateur Nodu. pic.twitter.com/LyJt3OlDD1

— franceinfo (@franceinfo) February 22, 2024

Le HRI-1 est "calculé sur la base de la quantité de molécules actives présentes sur le marché,pondérée par leur dangerosité pour la santé", comme le résume l'Inrae. Une façon d'avoir une "vision hom*ogène au niveau européen, et donc un instrument de comparaison", plaide-t-on à Matignon.

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Concrètement,les quantités de pesticides vendus sont pondérées par des coefficients liés à leurdangerosité, nous explique Laure Mamy, directrice de recherche à l'Inrae. "Un coefficient 1 pour lespesticidesà faible risque, 8 pour lespesticidesdits "normaux", 16 pour les "candidats à la substitution" et 64 pour lespesticidesnon autorisés. Un calcul cohérent sur le papier, mais qui se base, selon Laure Mamy, sur des valeurs arbitraires. D'autant plus que "80% des pesticides sont dans la catégorie normale" selon elle.

Pourquoi cela fait bondir les associations de défense de l'environnement et les experts ?

Plusieurs associations,comme Générations futures, "protestentcontre ce coup de force" et dénonce le HRI-1 comme "un indicateur totalement trompeur qui va présenter une image de réduction factice". Selon l'ONG, avec ce nouvel indicateur, le risque serait le même pour "un kilogramme d’agent neurotoxique, comme l’insecticide hautement toxique pour les abeilles deltaméthrine, que pour un kilogramme de sable quartzeux", utilisé en bio pour éloigner le gibier des cultures.

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Freddie-Jeanne Richard,enseignante-chercheuse en écologie, membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto regrette surtout que ce changement fasse perdre tout un historique de recherche. Pour cette spécialiste des effets des pesticides sur les insectes, ce changement d'indicateur est en réalité "un faux problème" : plutôt que de changer de thermomètre, elle préconise de "revoir notre rapport au vivant".

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