Agriculteurs en colère : qu’est-ce que le Nodu, l’indicateur au cœur du bras de fer avec les ONG environnementales ? (2024)

Les discussions ont tourné court. Conviées à une réunion consultative ce lundi au ministère de l’Agriculture autour du plan Ecophyto 2030, les ONG environnementales ont claqué la porte, estimant que les conditions n’étaient pas présentes pour engager le dialogue. Parmi les sujets brûlants que les associations voulaient aborder, figurait pourtant le principal indicateur de mesure de l’usage des pesticides en France, le Nodu, dont les autorités se disent prêtes à se débarrasser.

«C’est une ligne rouge», avaient mis en garde quelques heures plus tôt huit ONG dans un communiqué. Le gouvernement avait fait part de sa volonté de remplacer cet outil de référence du plan Ecophyto, destiné à réduire le recours aux produits phytosanitaires à l’horizon 2030 et mis en pause par Gabriel Attal, «le temps de mettre en place un nouvel indicateur». Un choix censé apaiser la colère de la FNSEA, le principal syndicat agricole, vent debout contre ce thermomètre uniquement français.

Quel est son rôle?

Cet indicateur, créé spécifiquement dans le cadre du plan Ecophyto, permet d’évaluer «la pression liée aux produits biocides sur les espèces et les espaces terrestres, aquatiques ou marins», souligne le site gouvernemental NatureFrance.fr. Calculé à partir des données de vente des produits phytosanitaires et exprimé en hectares, il correspond au nombre de traitements appliqués en moyenne chaque année sur l’ensemble des cultures françaises, à l’échelle nationale.

La spécificité du Nodu, «pour Nombre de doses unités», est d’évaluer «l’intensité d’utilisation des produits phytopharmaceutiques», quel que soit le type de culture, précise le site du ministère de l’Agriculture. Il s’obtient en divisant la quantité vendue de chaque substance active des pesticides, les molécules responsables de l’effet recherché, par les «doses unités», autrement dit «la dose maximale» propre à chaque substance active que l’on peut appliquer lors d’un traitement «moyen» sur une culture, lors d’une année donnée.

Cet outil permet ainsi «de prendre en compte à la fois la quantité de substances actives et la dose à laquelle elles sont efficaces, ce qui revient à définir leur degré de toxicité», appuie auprès de l’AFP le chercheur Corentin Barbu, selon qui cet outil est «le plus pertinent». Ces dernières années, le Nodu a permis d’évaluer les progrès enregistrés au niveau du recours aux pesticides: la France est passée de 82millions d’hectares en 2009 à 120,3 en 2018 avant de revenir à 85,7 en 2021. Le plan Ecophyto affichait jusque-là l’objectif ambitieux de ramener ce chiffre à environ 50millions en 2030.

Pourquoi est-il décrié par les agriculteurs?

Pour la FNSEA, tout comme pour l’industrie chimique, le Nodu ne rend pas honneur aux efforts des agriculteurs, qui assurent avoir déjà réduit leur usage de pesticides de 46% en 20 ans. L’outil de mesure «ne prend en compte que les volumes utilisés, sans distinction entre les produits les plus à risques qui s’utilisent en petites quantités et les solutions de substitution à plus faible impact qui s’utilisent en plus grand volume», pointait dimanche Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, dans les colonnes de Ouest-France. «Les agriculteurs et leurs syndicats sont aujourd’hui accusés d’être réfractaires au changement, alors que c’est le thermomètre de leur engagement qui est défaillant», regrettait-il, fustigeant «un indicateur qui ne reflète que l’augmentation des doses et pas la réduction du risque».

Une ligne que rejoint le gouvernement, estimant lui aussi que le Nodu ne reflète pas la baisse «de 96% en dix ans» des pesticides les plus dangereux, les CMR-1. Il préfère à ce «petit indicateur français» un indice européen avec lequel il voudrait le substituer, le HRI1. Cet «indicateur de risque harmonisé», proposé par la Commission européenne, permet de son côté de multiplier les substances actives vendues par des «coefficients», qui devraient «refléter la dangerosité des divers pesticides». Un outil salué par le lobby des pesticides, qui estime qu’il «prend en compte la dangerosité plutôt que le volume».

Pourquoi les ONG le défendent coûte que coûte?

Les ONG environnementales jugent au contraire que le Nodu reste le plus juste pour évaluer la baisse d’usage des pesticides. «Remettre en cause l’indicateur Nodu, c’est remettre en cause l’objectif même de la réduction des usages des pesticides», arguent huit associations dans le communiqué publié ce lundi, dont Générations Futures, le WWF France, la LPO ou encore la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH).

Sur son site, cette dernière affirme par exemple que l’outil de mesure, contrairement à d’autres indicateurs, est capable de «s’affranchir des éventuelles substitutions» que pourrait proposer l’industrie phytopharmaceutique, au gré de sa recherche. «Il permet de s’approcher le plus possible des réalités de dangerosité des pesticides, notamment lorsque certaines substances actives sont remplacées par de nouvelles substances efficaces à des doses plus faibles et nécessitant donc un volume de produit moins important», détaille la FNH.

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Au-delà de cet argument, les associations estiment aussi qu’un changement de cap soudain sur l’indicateur fausserait les évaluations à venir. «Comment décider d’une baisse de tel ou tel pesticide si le mode de calcul de suivi du recours aux produits chimiques utilisés depuis 15 ans n’est soudainement plus le même? C’est incompréhensible!», fustigeait début février auprès du Parisien Thomas Uthayakumar, directeur des programmes de la FNH.

Quant à l’alternative envisagée par le gouvernement, le HRI1, il ne fait pas le poids selon elle. L’indicateur est même «totalement trompeur» aux yeux de Générations Futures: d’après l’association, «les coefficients de dangerosité sont trop faibles» avec cet outil, accusé de «pénaliser l’agriculture bio» par son choix de classification.

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